Question :
Je vous prie, qu’Allah vous protège, de répondre aux deux questions suivantes :
Indépendamment des critiques des détracteurs concernant la fatwa sur la réprobation publique du gouvernant, si la réprimande en privé n’est pas possible, est-il permis de le réprimander publiquement dans tous les cas ? Que ce soit pour ce qu’il fait en effaçant les marques de la religion et en modifiant les principes de la loi religieuse, ou pour ce qu’il fait qui porte atteinte à sa piété, comme l’usurpation des biens publics, par exemple. Doit-on le réprimander publiquement dans les deux cas, sous certaines conditions et règles, ou cela se limite-t-il uniquement au premier cas sans le second ?
Réponse :
Louange à Allah, Seigneur des mondes, et que la paix et les bénédictions soient sur celui qu’Allah a envoyé comme miséricorde pour les mondes, ainsi que sur sa famille, ses compagnons et ses frères jusqu’au Jour du Jugement. Ceci étant dit :
En ce qui concerne la première question, il est obligatoire de réprouver les gouvernants pour toutes les erreurs, infractions et actes blâmables dans lesquels ils sont tombés, qu’ils ont permis ou ordonné, même si cela découle de leur propre interprétation ou effort de réflexion, après avoir confirmé que cela constitue un acte blâmable contraire à la charia. Ce grand principe fondamental de la religion, qui est « ordonner le bien et interdire le mal », fait partie intégrante de la « bonne parole ». Dans les deux recueils authentiques (al-Boukhari et Mouslim), il est rapporté : « La bonne parole est une aumône. »
Il est évident que la réprobation, la correction de l’acte blâmable, et l’interdiction de celui-ci sont conditionnées par la capacité et l’atteinte de l’objectif sans causer un mal plus grand. Leur rappel et leur conseil — lorsqu’on en a la possibilité — doivent se faire avec douceur, sagesse, et bienveillance.
En principe, les exhortations doivent se faire en privé, lorsque cela est possible, sans critique excessive, ni reproche, ni humiliation publique, comme je l’ai mentionné dans mes articles et fatwas à ce sujet sur le site.
En effet, le but est d’éliminer le mal et de réformer l’auteur — qu’il s’agisse d’un gouvernant ou d’un gouverné — en usant de douceur et en voulant leur bien de la manière la plus proche et efficace, et non en les réprimandant, en les humiliant ou en les critiquant publiquement.
Si la réprimande privée n’est pas possible pour corriger un mal commis publiquement et que l’on pense, avec une forte probabilité, qu’il y aura du bien à réprimander publiquement sans qu’aucune conséquence néfaste n’en découle, il est alors permis de les conseiller et de réprouver leur acte publiquement, sans les humilier ni les critiquer de manière excessive, en conciliant ainsi les différents textes des hadiths.
Toutefois, si le conseil ne produit pas l’effet attendu , que ce soit en privé ou en public, et que le fait de le prodiguer à l’auteur du mal ne fait qu’augmenter son entêtement dans l’acte blâmable ou le conduit à un mal plus grave, ou si cela relève de son propre effort d’interprétation et qu’il n’est pas convaincu par l’avis du conseiller, alors, dans ce cas, s’abstenir de lui donner conseil devient obligatoire, car le rappel ne sera d’aucune utilité. Allah dit : « Rappelle, si le rappel est utile » [Sourate Al-A’la, 87:9].
Si l’on craint que le silence sur un acte ne soit interprété comme une approbation, incitant d’autres à penser que cet acte est permis, alors il convient d’expliquer la règle à ces personnes sans provoquer ni inciter à la révolte contre l’auteur, en particulier s’il s’agit d’un gouvernant ou d’un savant, en raison de la grandeur de leur droit.
Cela ne doit pas empêcher d’exposer la vérité, car celle-ci mérite d’être suivie et elle est plus précieuse à nos yeux que toute personne. Il s’agit là d’un conseil pour la communauté et une manière de se décharger de la responsabilité du silence coupable et de son péché.
Allah, exalté soit-Il, a ordonné la véracité et la clarté, et a interdit le mensonge et la dissimulation lorsqu’il s’agit de choses qu’il est nécessaire de connaître et de rendre publiques.
Allah a préservé la communauté de s’accorder sur l’approbation de l’erreur — même si celle-ci résulte d’un effort d’interprétation — ou de garder le silence à son sujet sans qu’il y ait de réprobateur ou de contradicteur, car cela relèverait d’un égarement venant de Satan.
Et même si celui qui commet l’erreur est un mujtahid (juriste faisant un effort d’interprétation) excusé et récompensé, sans être blâmé, d’un rang élevé et d’une position préservée, il est préférable de concilier les différentes approches plutôt que de choisir l’une au détriment de l’autre. Appliquer tous les textes et traditions est préférable à en négliger certains ou tous.
La réprobation doit être publique si l’on s’attend à ce qu’elle apporte un bien, favorise l’intérêt général et élimine le mal, et elle doit être privée lorsque la dénonciation publique aggraverait le mal sans apporter de bien.
Aucun conseil, ni en privé ni en public, ne doit être donné lorsqu’il n’y a aucun espoir d’en tirer un bien et que cela entraînerait une plus grande corruption.
Quant à la réprobation publique des gouvernants, sous réserve de ses conditions, c’est l’avis d’al-Albani, d’Ibn ‘Uthaymin, de Muqbil al-Wadi’i (qu’Allah leur fasse miséricorde), et de bien d’autres, qu’ils soient contemporains ou anciens.
C’est également l’avis d’Ibn al-Qayyim (qu’Allah lui fasse miséricorde), qui a rapporté cette réprobation de plusieurs des pieux prédécesseurs, y compris des compagnons et ceux qui les ont suivis. Ces derniers sont plus proches de la vérité et plus conformes aux hadiths qu’ils ont transmis à ce sujet que ceux qui sont venus après eux. Comment peut-on prétendre — selon les critiques — que ces savants suivaient la voie des kharijites ? Quelle absurdité !
Le critique de la fatwa devrait maîtriser ses propos et s’abstenir de porter atteinte à ses auteurs de la manière qui serait nécessairement la même à l’égard des savants du passé qui ont établi et appliqué ces principes.
Il doit éviter de les dénigrer, de les insulter, de les accuser de crimes, ou de les critiquer de manière dénuée de tout savoir et respect.
Ce sont des savants et des figures de proue de la sunna, des imams et des personnalités renommées qui se sont distingués par leur sincérité dans la parole de vérité et leur courage à la proclamer.
Ils ont un pied solidement ancré dans le service de la sunna prophétique, des sciences religieuses et de la charia, ainsi qu’une vaste maîtrise de celles-ci.
La communauté s’est accordée sur leur grandeur et leur statut d’imams, d’autant plus que de nombreux récits rapportés par eux confirment cette position, sans aucune collusion ni rejet à leur égard, y compris de la part de celui qui a transmis le hadith sur la réprimande discrète, ‘Iyad ibn Ghanm (qu’Allah soit satisfait de lui). Ils ont également établi et encouragé l’idée de conseiller discrètement en premier lieu, ce qui montre qu’il n’y a pas de contradiction entre ce qu’ils ont affirmé et ce qu’ils ont pratiqué, une fois cela bien compris.
Chez Allah, exalté soit-Il. Notre dernière invocation est : Louange à Allah, Seigneur des mondes, et que la prière et la paix soient sur notre Prophète Muhammad, ainsi que sur sa famille, ses compagnons et ses frères jusqu’au Jour du Jugement. Que la paix soit sur eux.
Dans une autre fatwa le cheikh précise l’acte de certains compagnons du messager d’Allah et pieux prédécesseurs
Premièrement : La désapprobation d’Abu Sa’id al-Khudri à l’égard de Mu’awiya (qu’Allah les agrée tous deux)
D’après ‘Iyad ibn Abdullah, Abu Sa’id al-Khudri (qu’Allah l’agrée) a dit :
« Nous sortions — du temps où le Messager d’Allah (paix et salut sur lui) était parmi nous — la zakat al-fitr pour chaque petit et grand, libre ou esclave, d’un sa’ (une mesure) de nourriture, ou d’un sa’ de lait caillé, ou d’un sa’ d’orge, ou d’un sa’ de dattes, ou d’un sa’ de raisins secs.
Nous n’avons cessé de la sortir ainsi jusqu’à ce que Mu’awiya ibn Abi Sufyan soit venu à nous en tant que pèlerin ou pour une `umrah, et il a adressé les gens depuis le minbar (le pupitre). Parmi ce qu’il a dit aux gens, il a déclaré :
“Je pense que deux mudds (une autre mesure) de blé de Syrie équivalent à un sa’ de dattes.”
Et les gens ont suivi cela. »
Abu Sa’id a dit :
« Quant à moi, je continuerai toujours à la sortir comme je l’ai fait auparavant, aussi longtemps que je vivrai. »
Deuxièmement : La désapprobation d’Ibn ‘Umar à l’égard de Khalid (qu’Allah les agrée tous)
D’après Salim, de son père Abdullah ibn ‘Umar (qu’Allah les agrée tous deux), il a dit :
« Le Prophète (paix et salut sur lui) envoya Khalid ibn al-Walid vers les **Banou Jadhima**, et il les invita à l’Islam. Mais ils ne réussirent pas à dire correctement : « Nous avons embrassé l’Islam », alors ils se mirent à dire : « Nous avons changé de religion, nous avons changé de religion ».
Khalid se mit alors à les tuer et à en capturer certains. Il confia à chacun d’entre nous un captif. Puis, un jour, Khalid donna l’ordre que chacun d’entre nous tue son captif. J’ai dit : « Par Allah, je ne tuerai pas mon captif, et aucun des hommes de mes compagnons ne tuera son captif. » Nous sommes ensuite arrivés auprès du Prophète (paix et salut sur lui) et nous lui avons mentionné cela. Le Prophète (paix et salut sur lui) leva ses mains et dit :
« Ô Allah, je me désavoue de ce qu’a fait Khalid », deux fois. »
Le Prophète (paix et salut sur lui) ne désapprouva pas la désapprobation d’Ibn ‘Umar à l’égard de Khalid, ni même la manière publique dont il l’avait exprimée. L’initiative d’Ibn ‘Umar visait à éviter la corruption résultant de l’exécution de ceux qui ne méritaient pas d’être tués.
Troisièmement – La désapprobation d’Ibn Mas’oud à l’égard de ‘Uthman (qu’Allah les agrée tous deux)
D’après ‘Abd al-Rahman ibn Yazid, il a dit :
« ‘Uthman ibn ‘Affan (qu’Allah l’agrée) a prié avec nous à Mina en accomplissant quatre rak’ats(unités de prière). Cela a été rapporté à Abdullah ibn Mas’oud (qu’Allah l’agrée), alors il a exprimé sa désapprobation et a dit :
« J’ai prié avec le Messager d’Allah (paix et salut sur lui) à Mina deux rak’ats, et j’ai prié avec Abu Bakr al-Siddiq (qu’Allah l’agrée) à Mina deux rak’ats, et j’ai prié avec ‘Umar ibn al-Khattab (qu’Allah l’agrée) à Mina **deux rak’ats**. J’aurais préféré que mes deux rak’ats soient acceptées plutôt que de prier quatre rak’ats. » »
Abu Dawud ajoute : Al-A’mash a rapporté :
« Mu’awiya ibn Qurra m’a raconté de la part de ses aînés qu’Abdullah a prié quatre rak’ats. On lui a dit : « Tu as critiqué ‘Uthman, mais tu as prié quatre rak’ats. » Il répondit :
« Le désaccord est pire (que la prière de quatre rak’ats). » »
Cela montre la réaction d’Ibn Mas’oud face à la prière de quatre rak’ats accomplie par ‘Uthman lors de son séjour à Mina, contrairement à la tradition des deux rak’ats qu’il avait suivie avec le Prophète et les deux premiers califes.
Quatrièmement : La désapprobation de ’Ali envers ‘Uthman (qu’Allah les agrée tous deux)
D’après Marwan ibn al-Hakam, il a dit :
« J’ai été témoin de la situation entre ‘Uthman et ‘Ali, alors que ‘Uthman interdisait l’accomplissement de la mut’ah (le fait de combiner le Hajj et la ‘Umrah, c’est-à-dire le qiran, qui est une forme de mut’ah car il permet de se détendre en évitant un des deux voyages). Lorsque ’Ali a vu cela, il a proclamé les deux en disant : “Me voici pour une ’Umrah et un Hajj.” Il a alors déclaré :
“Je ne laisserai pas la tradition du Prophète (paix et salut sur lui) pour la parole de quiconque.” »
Cela illustre le fait que ‘Ali a maintenu la tradition prophétique en accomplissant à la fois la ‘Umrah et le Hajj, malgré l’interdiction d’Uthman.
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Source : le site du cheikh